Les auteurs n’ont plus besoin des éditeurs…

… et certains ont intérêt à les quitter. Ann Voss Peterson en fait la criante démonstration sur le blog de Joe A. Konrath, une des locomotives de l’autopublication numérique aux Etats-Unis. Anne Voss Peterson est une pro de l’écriture. Elle a 25 livres à son actif (dans le genre « romantic suspense »), vendus à trois millions d’exemplaires à travers le monde, publiés jusqu’ici par Harlequin Intrigue.

Mais voilà: Ann a décidé de quitter Harlequin. Pourquoi ? Parce que vivant de son écriture, elle ne peut plus se le permettre. Elle se sent exploitée et spoliée. Résumé de sa démonstration: aux Etats-Unis, le taux de royalty (le pourcentage que l’auteur touche sur les ventes de ses livres) est en principe de 8 % pour les livres de poche « mass market » qui sont le support de ses romans. Harlequin, lui, ne paie que 6 %. En passant, Ann met le doigt sur les conditions matérielles misérables qui sont faites aux auteurs, où que ce soit dans le monde. En France et en Europe, un taux de base de 10 % a été longtemps été appliqué, avec une possibilité de progression jusqu’à 15 % pour des ventes importantes. Depuis quelques années, ce taux de base est très souvent passé à 8 %.

Mais le problème, pour Ann Voss Peterson, ne s’arrête pas là. Elle donne les chiffres des relevés de ventes et de droits fournis jusqu’ici par Harlequin au sujet d’un livre qu’elle a publié en 2002. Ventes: 179 057 exemplaires. Revenu: 20 375 $, soit 11 cents ou 2,4 % par exemplaire, sur un prix affiché à 4$50. Selon Ann, ce sont les contrats pour la vente du livre à l’étranger, vendus (bradés) par Harlequin sous la bannière d’une autre société que cet éditeur possède, qui réduit artificiellement le revenu net attendu. Ainsi que le modèle d’affaires appliqué par Harlequin pour sa distribution aux librairies et aux grandes surfaces aux Etats-Unis (y compris Amazon). Ces vendeurs peuvent fixer le prix qu’ils veulent. Par exemple: 4 $ au lieu de 4,50. Dans ce cas de figure, ils touchent 2$ par exemplaire, Harlequin empoche 1$94, et l’auteur… 0,6 cents, soit 1,5 % du prix du livre. Très, très loin des 7,7 % que la plupart des éditeurs définissent comme le « revenu net » de l’auteur. Une exploitation éhontée.

Alors, comme d’autres avant elle, Ann Voss Peterson a fait ses comptes en explorant les possibilités de l’autopublication en version numérique. Sur Amazon bien sûr, qui paie 35 % sur les livres (ebooks) vendus en-dessous de 2,99 $ et au-dessus de 9,99 $, et 70 % sur les prix situés à l’intérieur de cette fourchette. « Je ne vendrai peut-être pas 179 000 exemplaires d’un livre par ce biais-là », écrit-elle, « mais en dix ans (la durée pendant laquelle Harlequin a vendu Accessory to Marriage, le titre auquel elle se réfère), un tel chiffre est possible. Et si on considère le revenu au lieu du nombre de copies, je n’ai besoin de vendre que 10 000 exemplaires à 2$99 pour atteindre 20 000 $. »

Ann n’est pas une « best seller ». Elle fait partie des centaines d’auteurs américains appartenant à la catégorie « midlist » en termes de ventes. Mais elle est connue, elle a un vaste lectorat. Elle y arrivera, et pourra faire redresser les dents de son fils – le problème qui l’a conduite à examiner sa situation et à prendre ce virage à 180 degrés.

Le dernier livre d’Ann Voss Peterson s’intitule « Pushed too far », un thriller. Amazon l’offrait gratuitement voici quelques jours, je l’ai téléchargé sur mon Kindle et l’ai dévoré en quarante-huit heures. Ce n’est pas ce qu’on appelle un « grand livre ». Mais quoi ? Nous lisons pour nous cultiver, mais aussi pour nous évader et nous distraire, souvent grâce à des polars. Et « Pushed too far », je vous le dit, est passionnant et impeccable.

 

 

 

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