Pourquoi j’aime Dan O’Brien

Voici quelques semaines, grâce à un carnet de route  de François Busnel (La grande librairie, France 5), j’ai eu le plaisir de voir et d’entendre un écrivain américain qui m’est cher: Dan O’Brien.

Il est l’auteur de huit livres, romans et témoignages de ses expériences de la nature. Dans cette dernière catégorie, O’Brien s’inscrit dans une longue tradition des écrivains américains, depuis l’approche « rousseauiste » de Henry David Thoreau à celle, sociétale, de William Kittredge, en passant par la voie naturaliste d’Aldo Leopold et celle, existentielle, de Rick Bass, sans oublier l’approche militante d’Edward Abbey.

Mais la veine de Dan O’Brien est particulière, parce qu’elle découle d’une expérience personnelle unique, qui relève elle-même du rêve, et qu’il a réussi à concrétiser en dépit de nombreux écueils et difficultés. Enfant, il était tombé amoureux des grandes plaines, découvertes à l’occasion d’un voyage avec ses parents. Jeune homme, il suit les cours d’un atelier d’écriture pour devenir écrivain. Et un jour, il réalise son rêve, devient éleveur de bétail dans le Dakota du Sud. Pas qu’il aime les vaches: il a choisi les Black Hills pour leurs immenses étendues, leurs ongulés, leurs oiseaux (il est aussi fauconnier), mais c’est là-bas le seul moyen de gagner sa vie.

Rapidement, il réalise que les vaches, ça ne va pas. Les terres sont dévastées par le surpâturage, l’écosystème naturel brisé. Raccourci: il décide d’élever des bisons, sur le territoire ancestral de ces animaux dont le nombre atteignait 60 millions de têtes lors de la conquête de l’Ouest, de gigantesques troupeaux vivant à l’état sauvage que les colons avaient presque intégralement massacrés.

Dan O’Brien raconte son aventure dans un livre magnifique, Les bisons du coeur brisé. C’est l’expérience d’un homme conduit par sa foi en quelque chose qu’il croit juste, parce qu’elle s’inscrit dans l’ordre des choses, les lois de la nature. Une aventure longue et difficile, et un pari gagné depuis quelques années. Autour de son ranch des Black Hills, la nature s’est peu à peu transformée. Des plantes disparues depuis des générations sont revenues, et avec elles des oiseaux et des animaux qui ont retrouvé là un biotope adapté à leurs besoins. O’Brien est allé au bout de son rêve et l’ancien écosystème a été restauré.

Et Dan O’Brien a trouvé un gagne-pain: la viande de bison, pauvre en cholestérol. De la viande cent pour cent naturelle, produit d’une éthique présente d’un bout à l’autre de la production. Lorsqu’elles sont prêtes à la consommation, on épargne aux bêtes le stress d’un long trajet vers l’abattoir en semi-remorque ou en train. Elles sont emmenées à l’écart du troupeau et abattues d’un coup de fusil, saignées sur place, puis débitées près de là dans une boucherie mobile. La viande est ensuite expédiée dans tous les Etats-Unis. Ce qui était au départ pour Dan O’Brien une « wild idea », une idée dingue, est désormais une entreprise apparemment prospère, tout en restant un projet-phare qui fait désormais des émules. On trouvera sur son site un article de The Economist au sujet d’une fondation visant à restaurer des milliers d’hectares dans les plaines du Montana en y réintroduisant également les bisons.

Un autre livre de Dan O’Brien m’a passionné et bouleversé: Rites d’automne, l’histoire de Dolly, un faucon pélerin né en captivité, élevé en couveuse, pour les besoins d’une grande cause: éviter la disparition totale de cette espèce magnifique, empoisonnée par le DDT, un produit chimique utilisé en agriculture. En 1965, il restait moins de vingt couples de faucons pélerins sur tout le territoire américain.

Durant plusieurs mois, Dan O’Brien va apprendre à vivre à Dolly. A voler, à revenir vers lui, à chasser. Et surtout à suivre la route naturelle des migrations annuelles de son espèce, des Montagnes Rocheuses jusqu’au Golfe du Mexique. Un pélerinage fascinant qui est aussi un conte métaphorique sur la liberté, dans lequel l’auteur décrit l’attachement fondamental (même lorsqu’il est oublié) de l’homme à la nature – mais aussi la fragilité de ce lien.

Cette aventure est belle et glorieuse: Dolly, dont les frères et soeurs avaient été tués par un aigle, Dolly dont nous suivons l’incroyable apprentissage, est bonne élève, elle vivra pleinement sa vie de faucon sauvage grâce aux hommes qui croient à l’impossible, et grâce à un fauconnier en particulier du nom de O’Brien. Sauf que, quelque part au Texas, au moment où elle est prête à vivre cette vie et que le pari du fauconnier semble gagné, il y a une ligne électrique sur sa trajectoire… Elle ne mourra pas, elle guérira de son aile cassée, « mais ses yeux n’ont jamais retrouvé le même éclat ». Et par rapport à ce qui aurait pu être, nous avons le coeur brisé en l’imaginant dans une grande volière que Dan O’Brien lui a aménagée dans son ranch du même nom: Broken Heart.

J’avais lu ces deux livres voici quelques années, à l’époque où j’étais plongé dans un profond « trip nature » avec l’écriture de Cougar corridor, mon roman sur les lions de montagne du Montana. J’ai eu envie de les faire connaître en voyant Dan O’Brien dans l’émission citée au début de cet article. Dan est un colosse un peu chauve, à la voix douce, dont émane une modestie qui est celle des êtres qui connaissent la vérité des choses de la nature. J’ai découvert sur son site, où il continue à écrire sur les enjeux liés à cette nature, que sa maison avait brûlé en septembre dernier. Et qu’il avait dû se battre comme un diable avec des entrepreneurs peu rigoureux pour reconstruire. Je l’imagine le coeur brisé, bien sûr.

La vie peut être dure dans les grandes plaines, la météo y est souvent terrible. Mais Dan O’Brien est profondément ancré dans ces immensités  où il lui arrive de dormir à la belle étoile et de regarder les météores traverser en un éclair la ceinture d’Orion. « Nous ne partirons pas d’ici », écrit-il dans l’épilogue de Rites d’automne. « Nous passerons notre existence au coeur de ce continent, entourés par les mouvements des oiseaux. Nous resterons pris entre les verts et les bruns de la terre et le bleu infini du ciel du Far West. »

Un ancrage profond, une vie cohérente au fil d’une trajectoire en adéquation avec un idéal, une symbiose entre la littérature et la nature: voilà pourquoi j’aime Dan O’Brien.

 

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