A la veille des fêtes de fin d’année, qui marquent une pointe dans les achats en ligne, la question est d’actualité pour de nombreux auteurs autopubliés en numérique.
Pourquoi une grande partie de ces auteurs offrent-ils leurs livres gratuitement ? Pour se faire connaître, et mieux vendre leurs livres par la suite. Un exemple avec le britannique Tony James Slater, qui se félicite de l’avoir fait. De nombreux auteurs américains ont également expérimenté, avec succès semble-t-il, cette forme de promotion.
Celle-ci a cependant à mes yeux quelque chose de dérangeant. Cette stratégie est rendue possible par le fait que l’on peut produire un ebook, un livre numérique, sans frais aucuns. Ou pour très peu d’argent: 100 € dans mon cas, pour l’achat d’une photo destinée à la couverture de La légende de Little Eagle. (En amont, tout de même, j’avais dépensé une somme qui n’était pas dérisoire pour acheter des ouvrages à des fins de documentation et en me payant un voyage dans le Montana pour y effectuer une recherche.) Et un ebook, autopublié sur les plateformes d’Amazon et de Smashwords, qui le distribue à de nombreuses librairies en ligne (Apple, Kobo, FNAC, Diesel, Barnes & Noble et des dizaines d’autres moins connues), devient théoriquement disponible dans le monde entier. Parmi plus d’un million de titres, ce qui soulève la question de la visibilité, à laquelle le principe de la gratuité pourrait théoriquement répondre – en partie du moins .
Mais donner des ebooks parce qu’ils ne coûtent rien à produire est-il éthique, loyal, ou simplement sensé ? D’abord, ils coûtent toujours beaucoup de travail. Un an, deux ans parfois pour un roman. Proposer gratuitement (même pour une période limitée) un tel ouvrage pose la question du respect de l’auteur pour son travail. C’est encourager le culte ou le mythe de la gratuité qui prévalent largement sur Internet. Or, rien n’est gratuit. Un écrivain peut produire, écrire un livre tout en sachant qu’il risque bien de ne pas gagner grand-chose, mais il assume ce risque et rêve d’un succès raisonnable. On doit payer pour lire son livre, quel qu ‘en soit le support.
Il est vrai que les auteurs autopubliés sont contraints de trouver des stratégies d’autopromotion pour tenter d’émerger dans cet océan de titres. Et comme ils sont stigmatisés (et souvent méprisés) par l’ensemble des milieux éditoriaux et médiatiques, recourir à l’artifice promotionnel de la gratuité ne saurait donc être considéré comme déloyal par rapport aux pratiques commerciales des éditeurs traditionnels, qui ne peuvent évidemment pas se le permettre en raison des coûts inhérents à leur industrie.
Pour moi, la question est: vaudrait-il vraiment la peine de donner mon livre ? J’ai lu récemment le témoignage d’une auteure irlandaise, très amère sur son expérience en la matière. Elle a « donné » (offert gratuitement) 12 000 copies numériques de son livre sur Amazon – une opération qui s’est espacée sur une année, impliquant une promo importante sur les forums et réseaux sociaux – et en a vendu 1000 à un prix très bas quand elle a annulé cette gratuité. Elle a fini par dé-publier son livre. Une consoeur française en a « donné » 1000 pour en vendre 12. Autre bémol: pour rendre un livre gratuit sur Amazon (qui offre cette possibilité cinq jours par trimestre), les auteurs doivent accorder l’exclusivité de leur titre à cette plateforme, donc les délister des autres librairies numériques où ils les auraient fournis. Très gênant par principe.
Ces exemples décevants ne sont pourtant pas la règle. Le numérique a permis à des centaines de nouveaux auteurs américains d’émerger et de gagner leur vie, voire dans certains cas de faire fortune. Et ils sont un millier à vendre plus de 1000 exemplaires par mois sur le Kindle Store d’Amazon. Je suis sûr que la plupart d’entre eux ont joué de la possibilité de la gratuité pour se faire connaître et trouver des lecteurs.
En ce qui me concerne, j’ai également joué une fois cette carte de la gratuité, pendant une semaine sur le site de Smashwords. Une petite centaine d’exemplaires ont été téléchargés, mais je n’ai pas, par la suite, constaté une hausse significative de mes ventes.
Il n’y a en fait pas de règle en la matière. Mais il semble établi que pour trouver un certain succès dans la jungle numérique, il faut avoir plusieurs livres, plusieurs titres. A partir du deuxième ou du troisième, il devient possible de faire découvrir le dernier en promouvant un précédant à bas prix, ou en le rendant gratuit. Ou de faire découvrir cette aubaine en parvenant à faire parler du dernier. A ce jeu-là, il est vrai que les écrivains donnant dans la catégorie « littérature » ou fiction de qualité ont beaucoup plus de peine à percer que ceux qui se spécialisent dans les catégories (dans le monde anglo-saxon tout au moins) les plus populaires: romance, mystery, fantasy, erotica, paranormal, etc., qui sont les genres qui ont le plus de succès, ainsi que les histoires en série.
Cinq dollars. C’est ce que Lindsay Buroker estime être le juste prix pour un roman « full length » (à partir de 250 -300 pages). « Cela vous donne des royalties bien plus élevées (70%) que ce que reçoivent les auteurs qui sont publiés par des éditeurs traditionnels, cela offre aux lecteurs une bonne affaire par comparaison aux livres publiés en numérique par ces éditeurs, et c’est considéré comme un bon prix par ceux qui ont le sentiment que les ebooks devraient coûter moins que les livres imprimés [puisqu’ils sont dématérialisés]. Enfin, ce prix vous démarque des légions d’auteurs qui vendent leurs livres entre 0,99 et 2,99$, souvent en croyant qu’ils ne parviendront pas à trouver des lecteurs avec un prix plus élevé parce qu’ils ne sont pas connus. De nombreux lecteurs opèrent une approche prudente ou méfiante des livres autopubliés, donc cela ne peut être que positif si vous ne donnez pas de signes évidents que votre livre n’a pas fait l’objet [fût-ce par vous-même] d’une décision de prix « à la baisse » [pouvant jeter un doute sur sa qualité.]
Quand j’ai publié La légende de Little Eagle, j’avais fixé son prix à un peu plus de 3 € dans sa version numérique (7.60 € pour la version imprimée), ce qui me faisait gagner, par ebook, autant que sur une version « éditeur traditionnel » qui serait vendue autour de 20 € et sur laquelle je toucherais 8 % hors taxes. C’est, à mon avis, sur cette base-là qu’un auteur doit établir le prix de son livre. Quelques mois plus tard, j’ai baissé le prix de la version numérique à 1,75 € pour tenter de « booster » ses ventes. Je n’ai constaté aucun changement significatif à cet égard, ce qui me porte à croire que 3 € (le prix d’un café) est non seulement raisonnable en termes de revenus d’auteur, mais également en ce qui concerne l’acceptation de ce prix par les lecteurs. C’est, pour moi, le « juste prix ».
L’an prochain, j’autopublierai un nouveau livre. Peut-être abaisserai-je le prix du précédent à quelque chose comme 0,99 € pendant quelques semaines, pour en faire profiter les lecteurs qui achèteront le nouveau. Puis je remonterai ce prix à 3 €.
Découvrez La légende de Little Eagle
Achetez La légende de Little Eagle