Bingo ! Jérôme Ferrari a décroché le Goncourt pour Le Sermon sur la chute de Rome. Je ne l’ai pas lu, et j’espérais que ce serait Joël Dicker qui décrocherait la timbale. Son roman, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, extraordinaire, touffu, riche et complexe par son contenu et sa structure, bourré de rebondissements, dense malgré ses 650 pages, se lit facilement, se dévore. Me reste à découvrir « le » Ferrari.
En France, le Goncourt est le prix qui stimule le plus les ventes des livres bénéficiant de son label, qui reste très prestigieux en dépit de la cuisine parfois peu ragoûtante dont son attribution fait l’objet entre jurés et éditeurs. Qu’importe : Jérôme Ferrari va devenir millionnaire, puisque son livre va vraisemblablement se vendre entre 300 et 500 000 exemplaires dans les pays francophones, et sera traduit dans une trentaine de langues.
Le thème des écrivains et l’argent n’est guère débattu. Et les écrivains à succès (les artistes en général), s’ils sont secrètement enviés par leurs pairs et dans le public, ne sont pas vilipendés dans le public ou les médias comme le sont les chefs d’entreprise, entrepreneurs ou financiers de haut vol. Est-ce parce que l’écriture est considérée comme une activité prestigieuse, noble ?
Ceci n’est pas incompatible avec le succès et les retombées matérielles qu’il implique. Reste que les grands succès de l’édition, les best sellers, sont des exceptions. Le dernier centimètre à la pointe de l’iceberg de la production éditoriale. Les ventes de livres sont le plus souvent modestes, voire misérables : en moyenne, un roman se vend à 1500 exemplaires sur le marché francophone. Voilà qui explique pourquoi écrivain n’est pas une profession au sens habituel du terme. En France, moins d’une centaine d’auteurs vivent vraiment de leur plume, comme on dit.
Un grand succès de librairie, un best seller, peut s’expliquer par beaucoup de choses, à commencer par son thème, sa valeur littéraire, sa qualité, le côté séduisant de son histoire, des prix bien sûr, mais pas seulement. Le facteur chance est souvent déterminant, et par définition, il est imprévisible. Je ne me souvient plus qui a dit qu’il était statistiquement plus facile de devenir ministre ou médaillé olympique que best-seller. Difficilement vérifiable, mais je n’en serais pas trop surpris. Alors, qu’est-ce qui fait qu’un livre se vend au-delà de toute attente, jusqu’à conquérir des lecteurs dans le monde entier ? Personne ne le sait, à commencer par les éditeurs qui espèrent un tel miracle pour telle ou telle de leurs publications.
Au-delà des auteurs best sellers, il y a encore les méga sellers. En 2011, l’auteur de polars américain Pat Robertson a décroché le pompon dans cette catégorie avec des gains de… 94 millions de dollars ! J’ai lu une fois un passage d’un livre de Robertson, dans un aéroport peut-être, et ce fut rapide : une page (90 % de dialogues) contient environ trente paragraphes, eux-mêmes composés d’une quinzaine de mots. Stylistiquement, c’est d’une pauvreté affligeante, mais toujours est-il que les thrillers de Robertson plaisent à une masse de gens. Ce qui prouve une autre chose : il n’y a pas de méritocratie dans les succès littéraires. De bons ou très bon livres se vendent bien ou mal, des mauvais aussi. Et dans cette liste de méga sellers ayant gagné des dizaines de millions l’an dernier, on trouve J.K. Rowling (Harry Potter), Stephen King, Ken Follett, John Grisham, tous auteurs talentueux – à défaut d’être nobélisables – de livres grand public et captivants dans leurs genres.
Derrière ce club très restreint, il y a les cohortes d’écrivains qui rêvent bien sûr du succès de cette élite, mais se satisferaient de beaucoup moins. Juste de pouvoir gagner décemment leur vie, aspiration à vrai dire légitime quand on a passé un ou deux ans à travailler sur un roman. Peut-être ont-ils lu Profession : écrivain, de Jack London, dont le chapitre 5 est intitulé : Le côté matériel.
Nous voulons de la bonne nourriture, et en très grande quantité (…) Nous voulons de jolies maisons avec des installations sanitaires et des toits bien étanches (…) Nous voulons de hauts plafonds, de larges fenêtres et énormément de soleil, de la place à l’extérieur pour faire pousser des fleurs et des plantes grimpantes (…) Et nous voulons toutes sortes de jolies choses à l’intérieur de nos maisons – livres, tableaux, pianos, et des divans et des coussins à n’en plus finir (…) Nous désirons nous marier et avoir une descendance qui nous procure des joies, et non des soucis (…) Nous voulons aussi pour nous des chevaux de selle, des bicyclettes et des automobiles (…) Lorsqu’on meurt de faim en Inde, lorsque la ville a besoin d’une bibliothèque, ou que le vieil homme à côté de nous perd son unique cheval et tombe malade, nous voulons mettre la main à la poche et offrir notre aide. Et pour faire tout cela, nous voulons de l’argent !
Et pour gagner de l’argent en écrivant, il faut du talent, beaucoup de travail… et de la chance.
Reste cette vérité cruelle, énoncée récemment par David Gaughran, l’auteur irlandais de A Storm Hit Valparaiso : personne ne peut avoir la garantie, le privilège de pouvoir gagner sa vie avec ce qu’il aimerait faire par-dessus tout. Mais chacun peut essayer en suivant ses conseils : Passons au numérique (« comment » et « pourquoi » s’autopublier, puisque 98 % des manuscrits sont refusés par les éditeurs traditionnels).
Entre le rêve et la chance, plusieurs auteurs américains autopubliés ont vendu de cette manière plus d’un million d’exemplaires de leurs livres, et 185, à ce jour, en ont écoulé des dizaines ou centaines de milliers.
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