Un formidable reportage sur les des Indiens américains d’aujourd’hui

J’ai toujours aimé les Indiens d’Amérique. Tout gosse, je découvrais leur vie et leurs aventures dans des bandes dessinées, des romans à quatre sous, et la série télé « Rusty et Rintintin ». Je me taillais des arcs dans des branches de noisetiers, récoltais des roseaux pour en faire des flèches, dont je munissais l’extrémité de douilles de balles pour mousqueton récupérées au stand de tir du village.

Beaucoup plus tard, j’ai eu l’occasion d’en rencontrer quelques-uns et de discuter avec eux. Un Navajo de l’Arizona, des Salish de la Flathead Valley et des Blackfeet de Browning, deux endroits du Montana où se déroulent mes deux romans, Cougar Corridor et La légende de Little Eagle, dont les héros sont d’ailleurs des Indiens.

Ce que j’ai retenu de ces rencontres, c’est une certaine gêne, une distance que ces hommes et ces femmes manifestaient envers moi, un Blanc. Ayant depuis beaucoup lu au sujet des Amérindiens, je suis arrivé à la conclusion que cette réserve découlait du poids de l’Histoire, les Indiens ayant littéralement décimés entre l’arrivée de Christophe Colomb (1498) et le massacre de Wounded Knee (1829), dernier des épisodes guerriers les ayant opposé à l’armée américaine. Les plaies de ce long drame sont à bien des égards encore ouvertes.

J’en ai trouvé la confirmation à la lecture de Indian Roads, un livre de David Treuer appelé à faire référence. Empruntant les chemins du journalisme et de l’autobiographie, cet ouvrage, qui s’appuie largement sur les faits historiques, est un formidable et émouvant reportage sur la condition des Indiens américains d’aujourd’hui. Une phrase de l’auteur interpelle dans les premières pages : « Comprendre les Indiens d’Amérique, c’est comprendre l’Amérique ». Parce que Indian Roads, l’univers des réserves, est « paradoxalement l’histoire de l’espace [politico-historico-social] le moins et le plus américain du XXIe siècle. »

Les réserves d’aujourd’hui, où vivent la moitié des trois millions d’Indiens du pays (l’autre moitié résidant dans les zones urbaines), sont en effet le résultat (la conséquence) de décisions, revirements, modifications arbitraires de traités, accommodements douteux et trahisons émanant du gouvernement américain sur plus d’un siècle. Alors que les Indiens, sous la poussée des colons, avaient été déplacés dans des territoires à eux réservés, souvent très éloignés de leur ancrage ancestral et inadéquats en ce qui concerne leurs besoins de subsistance et leur style de vie, leurs réserves ont peu à peu été grignotées par les Blancs au fur et à mesure que l’on y découvrait des ressources naturelles propres à des développements économiques : pétrole, charbon, gaz, minerais divers, sans parler des possibilités touristiques et des exploitations forestières.

David Treuer, fils d’un Juif autrichien qui avait fui les persécutions nazies en 1938 et épousé une Indienne de la tribu des Ojibwe, donne cet exemple. « Aujourd’hui, à Leech Lake (Minnesota), comme dans de nombreux autres territoires « indiens », la tribu ne possède qu’environ quatre pour cents des terres comprises dans les frontières de leur réserve. Le reste est divisé entre la municipalité, l’Etat du Minnesota, l’Etat fédéral et des propriétaires privés, entreprises et individus. Les Blancs y sont plus nombreux que les Indiens. Le revenu médian des ménages indiens à Leech Lake est de 21 000 $ par an, moins de la moitié du revenu médian américain, et une majorité d’Indiens vivent en dessous du niveau national de pauvreté.

USA Native Map

Mais Treuer cite d’autres chiffres, hallucinants : les revenus des quelques dizaines de tribus (sur environ 550) qui ont touché le jackpot d’une manière ou d’une autre. Comme les Osage de l’Oklahoma, qui avaient obtenu 10 % des revenus provenant de l’exploitation du pétrole découvert sous leurs terres. En 1925, une famille de cinq personnes touchait une rente annuelle d’environ 65 000 $ (800 000 $ d’aujourd’hui). Et depuis une vingtaine d’années, ce sont les casinos que certaines tribus ont eu le droit de construire et d’exploiter qui déversent sur leurs membres une manne considérable. Les Mdewakanton Dakota, officiellement enregistrés comme Indiens (parce qu’ils ont pu prouver leur quota sanguin) reçoivent 84 000 $ par mois par tête, ainsi que le financement de somptueuses maisons. Les Seminoles de Floride renflouent régulièrement l’Etat du même nom quand son budget est déficitaire…

Les milliards générés par les casinos ont par ailleurs fourni un tremplin considérable pour de centaines d’artistes, musiciens, danseurs indiens, et leur culture. Mais dans son ensemble, malgré de réjouissants mouvements de « revival », la culture indienne, les langues indiennes meurent à petit feu.

Aujourd’hui, les Indiens demeurent comme hier la population la plus méconnue et la plus méprisée par la majorité des Américains. Depuis 1917, ils se sont pourtant montrés les plus patriotes : ils se sont engagés volontairement d’une manière nettement plus massive dans toutes les guerres étrangères menées par leur pays qu’aucune autre composante ethnique, et ont souvent combattu glorieusement.

David Treuer, heureusement, nous prouve que tout n’est pas noir et désespéré dans le monde moderne des Indiens, malgré l’alcoolisme, la drogue, le racisme (parfois dans les deux sens), le nombre impressionnant de fugues d’adolescents et de familles décomposées. Retrouvant ses parents, ses amis, faisant des rencontres inattendues, Treuer délivre tout de même un message d’espoir avec des exemples de comportements, de réussites, d’accomplissements, de fierté, de lutte, de courage. L’espoir subsiste.

Désireux de mettre en évidence la vitalité de la littérature amérindienne, j’ai fait une brève recherche et suis tombé sur cette liste – exhaustive dans le temps – de Wikipedia. Une sélection plus serrée et plus proche de nous, contemporaine, m’a donné ceci, où j’ai retrouvé plusieurs auteurs que j’aime, et dont j’ai appris beaucoup de choses au sujet des Indiens.

Mais en terminant la lecture de ce livre, je ne pouvais pas me défaire d’une phrase de Sherman Alexie, un autre écrivain indien. C’était dans une interview télévisée. Il était tendu, en colère, révolté en parlant des réserves, où, disait-il en conclusion, « la vie est violente et brève ». Treuer nous rappelle que l’espérance de vie des hommes indiens est de 65 ans.

Cougar Corridor, un roman dont le héros, Michael Dupuis, est un Indien Salish.

La légende de Little Eagle, un roman dont le héros, John Philip Garreau, est un Blackfoot.

The Legend of Little Eagle, a novel whose hero, John Philip Garreau, is a Blackfoot Indian.

 

Share
Ce contenu a été publié dans Lectures, Tout le blog, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.