LeRoy Lutz, un pilote américain, mourut héroïquement le 22 juin 1944 en France…
… et inspira un roman 70 ans plus tard.
Voici quelques années, alors que je traversai la Flathead Valley du Montana, je m’arrêtai pour visiter le charmant musée de Ninepipes, près de Ronan. Là, quelque part entre des photographies du 19e siècle, des objets artisanaux, des armes diverses, de vieux outils et quelques toiles de Charles Russel, mon attention fut attirée par une lettre exposée dans une petite vitrine. Elle avait été envoyée en 1947 de Mardeuil, près d’Epernay, et était adressée aux parents d’un pilote américain qui s’était tué là-bas le 22 juin 1944. Son nom était LeRoy Lutz, et il avait sacrifié sa vie pour éviter que son P-38 Lightning, touché peu auparavant par la DCA allemande et presque incontrôlable, ne pique sur une maison. Il aurait pu sauter en parachute quelques secondes auparavant, mais il ne voulait pas risquer de causer la mort de plusieurs civils.
En quittant les lieux, alors que je conduisais le long de cette large vallée, entourée des deux côtés par les Montagnes Rocheuses, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ce jeune pilote qui avait quitté sa famille, ces paysages magnifiques et un monde en paix pour aller risquer sa vie de l’autre côté de l’océan dans un conflit qui ne menaçait alors qu’indirectement son pays, les Etats-Unis.
Y avait-il là le début d’une histoire, était-ce l’amorce d’un roman ? Cette question a tourné longtemps dans ma tête, sans me mener nulle part. Il manquait quelque chose, un déclencheur pour aller plus loin. Et ce quelque chose m’est venu plusieurs années plus tard sous la forme d’une question toute simple: et si, aujourd’hui, quelqu’un héritait de la maison que l’aviateur avait épargnée, et découvrait ce qui s’était passé, ce qui signifierait la mise en évidence d’une connexion particulière entre cette personne et ce pilote, dans le temps et dans l’espace ? Et là, je compris que je tenais mon histoire. Hélène Marchal, ma narratrice, apprend que sa mère, âgée de 4 ans à l’époque, se trouvait dans cette maison. Et que sans le sacrifice de LeRoy Lutz, elle, Hélène, n’aurait pas pu naître. Elle lui doit la vie ! Elle décide alors de se rendre dans le Montana et reconstitue son parcours d’homme et de pilote. C’est La légende de Little Eagle.
A ce jour, comment la lettre mentionnée plus haut est arrivée dans le Montana demeure un mystère pour moi. LeRoy Lutz venait du Nebraska. Mais ce 22 avril 1944, il pilotait le Lucky Lady, l’avion d’un autre pilote de son groupe, Arnold Helding, qui venait lui du Montana. (Entre parenthèses, j’adore cette photo !)
D’où une confusion qui perdura jusqu’au milieu des années 1990, quand le fils de LeRoy Lutz, Richard, noua un contact avec les autorités de Mardeuil. Lui et sa famille furent nommés citoyens d’honneur de la ville, qui avait érigé une stèle à la mémoire de son père, auquel elle rend honneur chaque année. Quand il apprit le comportement héroïque de son père, Richard Lutz déclara: « J’avais douze ans quand ma mère m’a dit que mon père avait été tué en France. J’ai toujours pensé qu’il était le pilote le plus courageux du monde. Mais maintenant, je le sais. »
En dehors des circonstances dans lequelles mon héro, le Premier lieutenant John Philip Garreau, meurt, il n’y a rien en commun entre lui et LeRoy Lutz dans mon roman. Mais il y a des connections particulières entre cette fiction et les faits historiques. Quelque temps après avoir publié ce roman, j’ai trouvé le numéro de téléphone d’André Mathy, un citoyen de Mardeuil qui – alors âgé de 13 ans – avait été témoin de l’accident de LeRoy Lutz et qui s’est efforcé durant plusieurs décennies de retrouver sa famille. Le lendemain du crash, André Mathy avait emprunté quelques outils à son oncle, un forgeron, et découpé sur le fuselage la peinture illustrant le le nom de l’appareil. Il l’avait donné à Richard Lutz lorsque celui-ci était venu en France. André Mathy, âgé de 82 ans lorsque je l’avais appelé, fut ému d’apprendre que j’avais trouvé dans le Montana une lettre dont il savait qu’elle avait été écrite par le secrétaire de la mairie.
Entre temps, j’étais retourné dans le Montana pour effectuer des recherches dans les archives de l’Université de Missoula, et à Browning, sur la réserve indienne des Blackfeet, John Philip Garreau étant un très jeune indien fasciné par l’aviation et le ciel, qui se révèle brillant au combat et qui meurt de la même manière que LeRoy Lutz.
Quant à Arnold Helding, il est décédé dans le Montana en 2007 à l’âge de 92 ans. Si j’avais su alors qui il était et qu’il se trouvait encore en vie, j’aurais pu le rencontrer à Arlee, non loin du musée de Ninepipes. Il vit toutefois dans mon roman sous le nom de Harold Holding, un officier de l’USA Air Force que Hélène Marchal retrouve à Great Falls – source précieuse pour reconstituer la vie de Johnny Garreau.
J’ai toujours aimé les avions, mais ils ne m’ont jamais vraiment passionné jusqu’à ce que j’écrive ce roman. Depuis lors, je reste empli d’admiration pour tous ces jeunes gens, ces pilotes américains qui s’étaient engagés comme volontaires dans le corps le plus dangereux de l’armée pour venir libérer l’Europe du nazisme. Et je trouve merveilleux que l’on puisse écrire de la fiction qui rejoint l’Histoire et la fait revivre. Ce n’est donc pas un hasard si je cite dans ce livre William Kittredge, un écrivain du Montana, sur le sens et l’importance des histoires – pourquoi nous en avons besoin, pourquoi elles sont importantes pour nous. Une histoire, dit-il, est quelque chose qui relie, qui éclaire. Elle peut aussi être, parfois, une source de guérison.
La légende de Little Eagle est disponible en versions numérique et imprimée en français et en anglais